Une main sur ton dos, des bras qui te serrent. A travers le nuage de panique, une voix t’appelle. Plusieurs voix, même, ou c’est ce que tu crois. En les suivant, tu émerges enfin de cette mer houleuse et affolée qui cherchait à te noyer avec tant de verve.
Tu ne sais pas si quelqu’un a allumé la lumière ou si tu as ouvert les yeux, mais un flot de clarté t’éblouit, déversant ses éclats flamboyants dans chaque recoin de la pièce. Des mains bien intentionnées passent dans ton dos, cherchant à communiquer un peu de réconfort à ton corps tremblotant d’épuisement. Ces gestes appartiennent sans doute à tes compagnons, ceux qui t’ont vu t’effondrer, sans crier gare, ceux qui te soutiennent à présent, le visage tendu. Tu clignes des yeux, en vain ; tu n’arrives pas à te défaire de ce voile flou qui t’empêche de voir correctement. Des taches de couleurs vives et animées dansent au coin de ton regard, virevoltant toujours hors de portée. Tu ne peux que deviner à quoi elles se rapportent, à qui elles appartiennent ; tu n’en auras pas la certitude. Dans ce tourbillon nébuleux et brillant de milles feux, tu as du mal à te retrouver. Autour de toi, des mots que tu entends à peine bourdonnent à l’entrée de tes oreilles, mais tu n’arrives pas à te concentrer dessus ; tu préfères te réfugier derrière ton regard hagard et confus. Avec un sursaut, tu sens qu’on place quelque chose entre tes paumes : un verre d’eau froide. On t’invite à le boire, mais tu préfères le garder ici, entre tes mains, pendant quelques secondes. Sa fraîcheur est la bienvenue, restaurant un semblant de réalité ; la condensation qui s’est déposée autour de la surface transparente du gobelet t’est agréable, bien qu’un peu ruisselante.
Tu portes le verre froid à tes lèvres assoiffées, laissant glisser son contenu dans ta bouche asséchée. La fraîcheur de l’eau réveille ton palais, explosant en bulles givrées contre tes dents ; elle se déverse en grands flots dans ta gorge, dégoulinant même le long de ton menton. Peu à peu, tu reprends tes esprits, mais le retour à la normale t’est pénible. Tu ne sais plus ce qui s’est passé, et ton cerveau embrumé n’est d’aucune aide. Un smog épais s’est dressé entre toi et le monde, et le traverser ne sera pas une tâche aisée, tu le sens. Tu frottes tes cuisses, tes épaules, tes bras endoloris pour les réveiller, eux aussi ; sous tes doigts, ta peau est rêche comme le cuir, ou presque. Avec un frisson, tu te rends compte que ton alarme était si grande que tu en aurais oublié ce que c’était, d’être vivant.
Tu trembles encore un peu. Autour de toi, la confusion des couleurs et des formes s’est atténuée, et tu arrives à saisir ce qui t’entoure. Le chuchotement de mots apaisants, dans tes oreilles, calme ton coeur qui bat encore à tout rompre, prêt à te crever les tympans. En portant la main sur ton visage, tu remarques sa chaleur fiévreuse, comme après une course effrénée. Tu voudrais fermer les yeux, somnoler quelques instants pour reprendre des forces, mais, contre tes pupilles, tes paupières sont brûlantes. Au coin de ces dernières, tu essuies les traces de larmes acides et corrosives ; pourquoi est-ce que tu pleurais autant, déjà ? Tu l’ignores, bercé par un ahurissement éreinté et bienheureux. Dans un recoin caché de ta tête, tu n’arrives cependant pas à faire disparaitre une ombre menaçante, insaisissable et redoutable.
Le calme est revenu, du moins, c’est ce que tu crois. Les rires ont repris à tes côtés, communicatifs et enjoués. On s’est distrait, on fredonne, on s’en moquerait presque, de cet épisode inquiétant. Tu te sens de nouveau humain, complet. Les lueurs orangées d’un début de soirée baignent ceux qui t’entourent d’un hâle chaleureux. Petit à petit, tu oublies tout de l’obscurité anxiogène, de cette noirceur terrifiante qui t’avait submergé. Sur tes vieux os, tu sens la chaleur piquetée de soleil de ce crépuscule estival. Les conversations sont légères, les mots deviennent aussi frêles que des plumes voletant au gré du vent. La douceur d’une brise insouciante chatouille le bout de ton nez, trahissant les signes avant-coureurs d’un éternuement. Les visages, auparavant si inquiets, se sont relâchés, et ceux qui t’entourent sont revenus à leurs chansons frivoles. Tu n’es plus seul. Au fond de toi, quelque chose se desserre, trouvant dans cette sérénité paisible un brin de soulagement. Non, ce n’est pas la fin, et tu en es sûr, cette fois-ci.

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