L’horizon crève les yeux, blanc, trop clair, une lumière qui plisse les paupières et embrase les coteaux de collines. Les sons de clochettes, les grelots de crécelles rongent les tympans de leurs scintillements grinçants. L’hiver approche, et avec lui brûlent les derniers vestiges de chaleur, de vie, de vert. Un soleil timide refroidit l’étendue bleue du ciel, dissolvant la poignée de nuages qui auraient voulu s’installer là. Mon souffle se cristallise sous mes yeux. Un tapis de feuilles mortes et congelées craquèlent sous mes semelles lourdes. Pas de piaillements enjoués d’oiseaux ou de glissements de canetons sur l’eau claire. Seuls les ululements du vent entre les cimes nues des arbres se découpent contre les étendues gelées des lacs.
Des rires enfantins s’échappent de portes fermées, ornées de couronnes vertes et rouges. Les fenêtres dorées font transparaitre des familles tendues, souriantes, des sapins bariolés et des festivités qu’on voudrait enjouées. Les feux de cheminée offrent des flambées généreuses, protectrices, annonciatrices de renouveau et de repli volontaire sur soi. Des histoires ancestrales tourbillonnent autour des flammes orangées, chacun leur tour ; on raconte des choses vraies, des choses fausses, des choses entre les deux, pour laisser passer les longues soirées mélancoliques d’un hiver glacé. Dans les intérieurs confortables et festifs, sur les tables dressées pour l’occasion, la nourriture s’empile, la culpabilité rempile, gavant des sensibilités déjà à fleur de peau. On s’en veut, on se ressert quand même.
J’enfouis mon nez dans mon écharpe colorée. L’air sec et chaud d’un brasero insistant me chatouille les narines, diffusant sa lumière tamisée sur la place bondée de badauds plus ou moins ivres. Des étals pleins à craquer vendent leurs produits festifs à des prix exorbitants, sur fond de notes sucrées et trop colorées. Des petites maisonnettes de carton proposent des douceurs de saison, de la charcuterie par tranches épaisses ou des pommes de terre sous différentes formes, toutes plus grasses les unes que les autres. Rituel traditionnelle ou excuse pour manger et boire, les marchés de Noël poussent comme des champignons sur les places publiques et entre les coins de rue. Les bousculades sont nombreuses, les files et queues encore plus ; je ne sais où donner de la tête. Les effluves de vin chaud et de cidre épicé emplissent l’air d’arômes qui n’ont jamais été ma tasse de thé. Je ne sens plus mes doigts.
Mes baskets glissent sur la route verglacée. J’essaie de courir, j’essaie de ne pas me casser la cheville. Entre deux averses de pluie battante et froide, on sort s’aérer la tête, dans le silence mort de l’hiver. Des plaques de gel poussent comme de l’eczema dangereux sur le bitume. Les arbres nus se crochètent contre les couches successives de tissu que j’empile contre ma peau chair de poule. On hiberne, on sort le moins possible, on court après le temps et le soleil porté disparu dans la fin d’un automne qui s’éclipse trop vite. Rien ne réchauffe les articulations. L’air ne bouge plus, glacé autour des jardins vides et des allées désertes. Les clignotements des luminaires qui habillent les maisons et les boulevards sont les seuls résidus de lumière que l’on peut croiser sur son chemin. Les souvenirs d’un été lointain sont devenus des hallucinations, des rêves improbables qui prennent des allures de complot. Les saisons n’existent plus sous la couche de givre qui recouvre les corps et les ambitions.
C’est l’hiver. Les mots s’agglutinent au fond de ma gorge, condamnés à y rester. Un dernier espoir de soleil s’éteint dans mes nuits troubles ; il faudra attendre le printemps pour renaitre.

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