Des tomates découpées en tranches épaisses, un lit parfait pour accueillir les morceaux de mozzarella déchirée, le tout déposé avec délicatesse sur une jolie assiette creuse. Le rouge-orangé granuleux dégouline sur le blanc de lait, des nuances rosées piquetées du vert parfumé d’un brin de basilic déchiré. Des cristaux de gros sel se mêlent à des grains de poivre fraichement craquelés, tourbillonnant sur la surface d’une flaque d’huile dorée. On se retrouve, on mange, on fait des salades, des grillades ; les barbecues se multiplient, dressant des colonnes de fumée claire dans un ciel éclatant de bleu.
C’est enfin l’été. La saison s’étale, lasse, de l’huile d’olive sur du pain grillé. Elle se tartine de chlore et d’abricots acidulés, de tomates charnues et de fruits rouges dont le jus perle le long de mentons avides et voraces. Des glacières débordant de glaçons emplissent les verres déjà couverts de condensation, clinquant contre les parois cristallines avec un délice mal dissimulé. Des litres d’eau fraiche sont avalés à grosses goulées pour faire face à la chaleur naissante. Une boule de glace, puis une deuxième, coulent sur des doigts distraits, fondant avec paresse le long de cornets qui ne tiennent plus très droit. On boit, on mange, on rit, on respire à nouveau l’air estival, entre un café glacé et un rosé plus très piscine.
Les verres de vin, de bière presque tiède et de limonade fraiche se succèdent, laissant place à l’ivresse de la nuit, au joug de la fête. Le boum-boum gras de grosses caisses entêtantes perce les boites crâniennes, rependant leurs sucs électroniques par ondes-radio obsédantes. Les fêtes de village bourdonnent dans les oreilles et s’enchainent sans fin, apportant avec elles une nausée alcoolisée qu’on ne peut plus ignorer. La sueur perle sur la peau incandescente, des paillettes se mélangeant aux étoiles bouillonnantes. Les corps bougent, ondulent sur des sonorités endiablés, se laissant porter par des rythmes lancinants. Les respirations se font plus dures, mais les jambes ne s’arrêtent jamais de bouger. La raison se perd dans la danse, et on se laisse emporter, engloutir par une fête pétrie d’infinies possibilités.
Les néons ne cessent de clignoter : dans le ciel, dans la nuit, les feux d’artifices et les chambres d’hôtel, sous les tentes et sous les lits. On se réveille déshydraté, la langue encore pâteuse de la veille. L’apéro semble ne jamais finir, un perpétuel bol de chips sur une table de jardin bancale, jonchée de bouteilles à moitié vides. On ne peut plus sortir de cette boite infinie, une éternelle ligne de basse un peu disco qui hante nos pas comme une ombre. Les nuits se font trop courtes ; la fête prend le pas sur la journée.
Jusqu’à ce que la nuit devienne un enfer, la chaleur étouffante s’immisçant par tous les pores de la vie. Les soirées s’étirent, et on n’arrive plus à dormir. La sueur fond sur la peau, sur draps jetés au sol à la recherche de la moindre once de fraicheur. La bouche continuellement sèche, on tâtonne au coeur de l’insomnie, à la recherche d’un peu d’eau, même tiède, d’un peu de répit dans un désert de plus en plus réel. Le vrombissement aigu de moustiques assoiffés de sang remplace les rires légers, et on suffoque de chaleur jusqu’à l’aube. Dormir devient un combat continuel avec soi-même, avec les éléments qui se déchainent ; les cernes se creusent en poches sous les yeux ternes.
Puis, le jour se lève ; trop tôt, toujours trop tôt, et encore plus chaud. Des lames de soleil tranchent les volets encore fermés, cuisant tous les recoins de chaque pièce sur leur passage. Exister devient éreintant. Les routes vibrent sous la chaleur, fondant sous les semelles des chaussures qui battent le bitume. Les rayons de ce soleil cruel brûlent la peau et ébouillantent le moral ; on n’en finit que rouge vif et épuisé. La sueur colle encore au corps, irritant la moindre parcelle épidermique encore intacte. On brûle, presque littéralement. On se sent cuire. En fond, on sent (ou plutôt, on sait) que ça ne fera qu’empirer avec les années, la température grimpant à chaque nouvelle journée. Le mercure explose, et avec lui l’angoisse de ne plus pouvoir respirer. Le seul répit se retrouve dans des espaces climatisés à outrance, des oasis de fraicheur qui permettent de tenir le coup. On fuit l’extérieur, peuplé de grillons moqueurs et de guêpes qui ne cherchent qu’à nuire, à attaquer la moindre parcelle de paix qui aurait pu subsister. On se calfeutre, on ferme les fenêtres et on garde les volets clos, repoussant les assauts envahissants du zenith.
Parfois, des nuages menaçants couvrent le ciel lumineux. Des moutons cotonneux inondent l’azur de leur zébrures électriques, et un torrent d’eau se déverse sur les rues chauffées à blanc. Les parapluies se retournent et la grêle crève les tentes ; la violence de l’orage répand des frissons dans les dos auparavant découverts. On attend. On regarde, ébahi, les allées déborder de flots boueux, dangereux, qui dévastent tout sur leur passage. En un instant, le soleil revient, sa lumière toujours aussi crue ; ne reste des cumulus qu’une vague odeur de petrichor tapissant les chaussées d’une fine pellicule odorante.
Soudain, une parenthèse. Une odeur de chlore qui chatouille les narines et qui pique les yeux. De l’eau, partout. Des piscines dans lesquelles s’immerger, pour soulager les assauts incessants de la chaleur. Le temps devient fluide, infini, un liquide aussi irisé que les reflets blancs sur les carreaux de la piscine. On met ses lunettes teintées. La crème solaire se mêle au chlore, et on plonge, tête la première.
Ou alors, on file à la plage, se laissant tomber à l’ombre de parasols bariolés. Les doigts de pied en éventail, on prétend lire un grand classique, plus occupé à observer les autres curieux sur la plage. Le sel de la mer se mêle à l’odeur âcre des algues parsemées ça et là. On vide son cerveau, laissant le soleil se refléter tranquillement sur l’étendue marine. On époussète le sable qui colle dans toutes les crevasses de nos corps. On se détend, enfin, et on prend le temps de se remettre d’une énième année infernale. On tente, tant bien que mal, de mettre les angoisses au placard, pour revenir le plus frais possible. On y arrive jamais vraiment.
C’est l’été. Et il fait de plus en plus chaud.

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