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Seeing things from afar since 1996


Carnets de voyage : Londres

Tourisme domestique

Il y a certains endroits qui me hantent un peu, balançant entre inconnu et familiarité, et Londres en fait partie. Ca faisait quelques années que je n’y avais plus mis les pieds, et à chaque fois, ca me fait ce même effet bizarre, comme si je n’y avais ma place qu’à moitié. Je connais cet endroit, certes pas de fond en comble, mais il ne m’est plus étranger. Enfin, c’est ce que j’aimerais penser ; peut-être qu’il n’y a qu’une part enfouie de moi qui s’y sent bien. Je me plais à me perdre dans ces énormes boulevards longilignes, voisins de rues sinueuses et intestines, encore et encore. La modernité de la City, scintillante à l’horizon, borde les vieilles histoires plus sombres des boyaux de la ville. Les mythes de grandeur et de fierté paraissent parfois médisants à côté des maisonnettes et cottages miteux qui s’écroulent à moitié au bord des rails. Londres est une ville qui n’en finit pas de s’empiler sur elle-même, accueillant le touriste comme le forcené à bras ouverts ; pourquoi, alors, est-ce que ça me semble toujours aussi incongru de la fouler du pied ? Une double-culture me coince entre l’enclume et le marteau ; je ne pourrais pas connaître entièrement cette capitale qui m’accueille, quand bien même je le souhaite.

Archi-textures

De briques rouges en granit grisâtre, de buildings en verre aux piles de bâtiments pales, j’ai le vertige. Tout est différent, ça respire, c’est vivant, une machine bestiale qui s’adapte aux assauts du temps. Ca change du haussmannien parisien, c’est le moins qu’on puisse dire. Dans sa multitude, Londres arrive tout de même à se faire une identité reconnaissable d’entre toutes, tordue et contrastée. Du moins, c’est ce que je me plais à croire, quand je bats le pavé de mes semelles fatiguées, entre les voyageurs émerveillés et les vestiges d’un punk désossé. La chaleur opaque de l’été encore brumeux côtoie la fraîcheur d’une météo bougonne ; je ne m’y ferai jamais. L’apparence guindée des grands magasins se fond derrière les enseignes de pubs et de bars qui vomissent leurs clients (très heureux) sur les trottoirs défoncés. Il se dégage comme une odeur de joie sans lendemain, quand on se mêle à la foule. Jusqu’à ce qu’on descende dans les tréfonds de l’Underground, confus et insensé. Il y fait trop chaud, il y a trop de monde, les plafonds sont trop bas ; on s’enfonce dans les boyaux profonds de la ville. Des nuées d’escalators se présentent à moi, il faut choisir, vite vite. Je ne sais pas vraiment comment je fais pour m’en sortir mais, lorsqu’on regagne en fin l’air presque frais, c’est un soulagement éclatant.

English Breakfast

Ca ne va pas sans mentionner l’atmosphère étrange, étouffante ou presque, qui plane sur la ville, sur les gens, sur tout. On vante toujours le flegme britannique, leur capacité à se remettre de toute épreuve une tasse de thé à la main ; mais on l’oublie vite à la frontière. Méticuleux, ils en seraient presque à refouler les touristes un tantinet enthousiastes, depuis leur illustre sortie de l’espace européen. Les questions sont acides, sonnent fausses, comme soigneusement répétées. Et ça n’a rien épargné. Les roast dinners sont si pleins de sujets à ne pas mentionner qu’ils en deviennent parfois difficiles à manoeuvrer. On navigue sur un baratin houleux, entre non-dits et regards prudents, le temps d’une partie de cartes ou d’un jeu de société un peu trop compétitif. Les repas sans fin se mélangent en scones couverts de confiture et en nuits trop courtes. Mais je m’y sens malgré tout un peu chez moi, au coin d’une moquette pastel ou d’un énième sablé ; jamais là où l’on me présume être, toujours entre deux chaises. Cette étrangeté, je ne m’en lasse plus.



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