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Seeing things from afar since 1996


Anxiogène

Tu cours. Tu ne sais plus trop comment tu es arrivé ici, mais tu cours, aussi vite que tes jambes peuvent te porter. Autour de toi, il fait noir ; tu ne vois rien, mais tu t’en soucies peu. Un seul mot d’ordre occupe ton esprit : il ne faut pas que tu t’arrêtes. Ca fait combien de temps, déjà, que tu cavales comme ça ? Tu ne sais plus trop. Peut-être depuis toujours. Ta respiration, pour le moins erratique, râpe contre le fond de ta gorge, et une sueur poisseuse colle ton t-shirt contre ton dos. Tu auras du mal à suivre ce rythme effréné plus longtemps mais tu accélères, presque sans en avoir conscience. Ton estomac brûle de peur, une peur qui tient ton ventre entre des tenailles implacables. Tu ne sais pas exactement d’où provient cet effroi, mais tu as l’impression d’entendre quelqu’un, quelque chose, une rumeur proche et lointaine à la fois, comme deux paires de pas qui se répondraient. Serais-tu suivi ? Non, ca ne ferait aucun sens, ça doit être un simple écho. Tu redoubles tout de même d’ardeur, même si tes muscles, tes cuisses, tes poumons, te hurlent d’arrêter. L’épuisement s’insinue en toi, rampant comme une mauvaise herbe. Tes foulées se font de plus en plus lourdes et traînantes, l’air siffle en entrant dans ta trachée. Au bout d’un moment, tu n’en peux plus, c’est plus fort que toi. La fatigue se convulse dans tes articulations ; il faut s’arrêter ici. Mais un doute se fraie un passage dans ton esprit. Tu ne sais toujours pas où tu es, et ne vois ni d’entrée, ni de sortie. Tu ne sais même pas si tu as avancé ou non, depuis que tu cours.

Haletant, tu manques de t’effondrer alors que tes jambes se bloquent dans leur course, manquant de trébucher sur un obstacle invisible. Ton cerveau se remue à une vitesse folle, tu n’arrives plus à suivre. Tu voudrais calmer les voix pleines de venin qui t’attaquent, susurrant leur verve acerbe dans tes oreilles ; elles n’existent pas, personne ne te veut du mal. Mais tu n’arrives pas à t’en convaincre. Ca tangue, ca vibre, ca tournoie ; tout est confus, brouillé, indéchiffrable, on ne s’entend plus penser. Ton coeur cogne contre tes tempes avec la force du tonnerre ; à l’en croire, tu t’approches de l’asphyxie. Ton corps tremble, comme s’il paniquait tout seul, mais tu te dis que ça doit être le contrecoup de ta course débridée, que tu as besoin de sucre, tout simplement. Et d’eau, tiens, pour soulager la soif qui se brise contre ta langue pâteuse et ton palais à chaque inspiration. Pourquoi es-tu si convaincu, si certain que quelqu’un, que quelque chose te veux du mal ? En reprenant ton souffle, tu regardes autour de toi. Tu ne vois rien, ni n’entends rien ; tu es seul. Du moins, c’est ce que tu penses ; la chair de poule qui hérisse ta peau ne semble pas convaincue. Une sensation désagréable d’être épié picote ta nuque mais, dans l’obscurité ambiante, tu sais que ce serait impossible. Pourtant, tout est en alerte, sous tension face à une menace grandissante et ivre d’angoisse. Ton instinct de survie cherche à prendre le le relais, tout te crie de fuir ces yeux sur l’arrière de ton crâne, mais toi, tu ne bouges pas. Tu t’obstines, tu ne veux pas bouger, pas perdre contre cette crainte, cette bile noire qui enfle au fond de ta rate. Non, tu n’auras pas peur de quelque chose d’invisible, voire d’inexistant.

Un courant d’air effleure tes avant-bras, et ce frisson se transforme en soubresaut. Un nuage d’angoisse, âcre et pesant, s’abat sur toi, s’engouffrant par tous les pores, toutes les ouvertures, te coupant le souffle. Impuissant, tu succombes, tu ne peux rien faire pour résister. Un voile de panique, opaque et épais, a pris le dessus sur toi, tu n’as rien pu faire. Tu ne peux plus bouger, pris de tremblements proches de l’explosion, tu ne peux plus respirer, même pas pour crier. Recroquevillé sur le sol frais et dur, tu sais que quelque chose va venir te dévorer, vulnérable comme tu es. Tu ne fais plus qu’un avec la terreur qui a envahi ton esprit, tu ne fais plus qu’un avec elle ; tu sais que c’est fini lorsque tu la sens, impuissant, détruire tes derniers retranchements. Tu brûles, bouillonnant de sueur moite et fiévreuse, et tu frissonnes, le bout de tes doigts complètement gelé. Un nuage sinistre et terrifiant flotte au-dessus de toi, comme une fumée sans flammes, te paralysant, aspirant toute ton énergie. Il s’infiltre dans ta gorge, ton estomac, même jusqu’au bout de tes orteils, accablant ; des larmes acides perlent au coin de tes yeux aveugles. Tu suffoques, tu ne contrôles plus rien, tu ne peux même plus penser. Tu te sens défaillir, partir, pour ne plus jamais revenir. Est-ce ici vraiment la fin ?



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