Le ciel est morose, ces derniers temps. Verlaine disait qu’il pleure dans mon coeur comme il pleut sur la ville ; il avait pas tort. Les nuages s’amoncellent, sombres et sinistres, prêts à exploser à tout moment. Ils n’attendent qu’une chose, de pouvoir déverser tout leur contenu sur la plaine. D’ordinaire, j’apprécie ce petit manège. Les gouttes qui dégringolent sur les toits, la bruine qui emplit jusqu’à mes narines, le clapotis de l’eau qui s’écrase sur le bitume, tout ça m’apporte une certaine sérénité. Mais, le dimanche, il n’y a rien de pire que la menace d’une pluie diluvienne. Un dimanche sous la pluie, c’est une journée perdue face à l’ennui de regarder les mouches voler. On attend que ca passe, enfermé chez soi parce qu’on est fatigué après avoir passé la semaine à trimer de droite à gauche. La boucle est infernale : on attend ce jour avec impatience, encore et toujours, pour le voir être ravi par un orage intempestif, et c’en est presque cruel. Tous les projets, toutes les envies, jusqu’à la moindre pensée, tout est emporté par les rafales d’eau cinglante. Un dimanche pluvieux est invariablement amer, comme s’il était synonyme de promesses inachevés et d’une oisiveté presque forcée. On n’aurait même pas envie de sortir, par ce temps. Il fait humide, grisâtre, et froid. On entend le tintement de l’eau sur les vitres en râlant, et on se morfond de petits mensonges et de faux-semblants : ah, si seulement il avait fait beau, j’aurais parcouru le monde entier avant le repas de midi ! On sait que, si le soleil brillait, on se prélasserait en terrasse toute la journée, à écouter le temps passer, tranquille.
J’aime bien les dimanches, d’habitude. Enfin, je pense. Je ne sais pas si j’aime ce jour en particulier ou si sa nostalgie me tient en otage. Plus jeune, le weekend m’amenait une liberté presque totale, c’est vrai. On avait droit à de longues grasses matinées, des croissants et des tartines à la confiture de groseilles, des jeux interminables et des diabolos grenadine au bistrot du coin. On se baladait sur la place du marché dans les beaux habits du dimanche, chipant des friandises ça et là, se tenant à carreaux dès qu’il s’agissait d’avoir une tête d’ange. On passait des heures, assis à table lors du repas de midi, à attendre d’être excusé, pour aller courir à travers champs ou pour aller allumer les consoles. On ne parlait pas des devoirs et des cahiers à peine ouverts, trônant fièrement sur les tables à manger parmi les stylos à billes et les gommes noires de crayon de papier. Les soirées étaient toujours trop courtes, entre un film un peu daté et des dessins animés de moins en moins sages. Pendant longtemps, le dimanche, c’était ça, pour moi : un jour au goût de soleil, rempli à ras bord de contrées verdoyantes et de rires sereins. Un jour qui passe en un clin d’oeil, certes, mais surtout une bouffée d’air frais où rien ne paraît impossible, une trouée dans les nuages gris de la semaine.
Mais plus j’y réfléchis, plus je me rends compte qu’il y a quelque chose qui me dérange. Le dimanche après-midi est devenu d’une langueur poisseuse, collante. On est sous la menace constante du lundi matin, qui approche doucement et sûrement, caché dans les recoins noirs et les draps trop froids. Arrivé le soir, tout le monde est irritable ; on ne veut pas se lever le lendemain matin, on ne veut pas retourner s’asseoir derrière un sempiternel bureau où disparaît déjà la meilleure partie de la semaine. Ca passe toujours beaucoup trop vite, encore plus rapide qu’un battement de cils. Le dimanche est un jour qui se traîne avec difficulté, où rien n’arrive, rien du tout. Les magasins ne sont qu’à peine ouverts, et, de toute façon, tout parait si loin, presque inatteignable, si bien qu’il ne sert à rien de sortir. Je m’ennuie, le dimanche. C’est un jour qui me regarde dans le blanc des yeux, la bouche ouverte comme celle d’un poisson plus très frais. Après la retombée de l’ébullition du samedi, passé à courir partout de peur de perdre du temps, le dimanche m’englue dans sa lenteur. C’est un après-midi entre l’attente et le supplice, passé le regard dans le vide. Coincé dans cet entre-deux, on se retrouve obligé de patienter, et cette indolence presque moqueuse m’agace. Son apathie me glisse dans une torpeur dont j’ai du mal à sortir, petit à petit. Je nage entre somnolence et volonté de tout faire, faisant le yoyo entre toutes les possibilités qui s’offrent mollement à moi, patientant jusqu’à la délivrance de la nuit. Bref, je pense que je n’aime plus trop les dimanches après-midi.

Leave a comment