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Seeing things from afar since 1996


A la gare

En franchissant les portes automatiques du charmant petit bâtiment, je suis aux anges de voir qu’il reste des places assises à l’intérieur de la gare. Je n’aurai pas besoin d’attendre mon train sur le quai, entre la chaleur des rails étincelants sous le soleil de l’été naissant et la tôle étouffante des auvents rudimentaires. Je m’affale sur l’un des nombreux sièges vides qui n’attendent que mon séant. Le bourrelet rouge qui le recouvre n’a de coussin que le nom ; la dureté de l’acier sous sa fine mousse m’empêche de m’asseoir confortablement. Mon dos est tordu par l’armature étriquée, je n’arrive pas à étendre mes jambes correctement ; j’espère seulement que je n’aurais pas à attendre trop longtemps. Les panneaux d’affichage, étoiles vertes et bleues contre la blancheur passée des murs usés, n’indiquent aucun retard pour le moment. Je regarde les départs et les arrivées se succéder, un à un, sous la lumière de la verrière. Ce n’est qu’un vague hall coloré, cette gare ; les enseignes lumineuses vendant chocolats et sucreries font concurrence au bal des valises bigarrées pour savoir qui seront les plus tape-à-l’oeil. Les contrôleurs se mêlent aux badauds, la casquette vissée sur le crâne avec fierté, walkie-talkie en main ; ils guident, dirigent, renseignent les passant à l’allure paumée et les enfants en mal de distraction.

Car des âmes errantes, il y en a beaucoup. Les halls de gares sont autant de scènes de théâtre tragi-comiques, entre la course effrénée et l’oubli de dernière minute. Dans un recoin, des couples se séparent, les larmes aux yeux, amants déchirés par une vie trop injuste. D’autres trépignent sur place en attendant l’arrivée de leur âme soeur, un bouquet à la main (des pivoines, des jonquilles, du mimosa, des roses, bref, tout un jardin). Entre ces mots doux ou durs s’immiscent des familles qui paraissent un peu trop nombreuses et, surtout, un peu trop en retard. Les enfants braillent, criant leur infortune de leurs petits poumons. Les parents, à leurs côtés, me semblent toujours impuissants, leurs mines déconfites étant la seule réponse possible à ce chaos incontrôlable. Je ne manque jamais de remarquer les gloussements d’adolescents face à ce spectacle ; ces derniers paraissent détendus, sans soucis, parmi l’empressement des autres voyageurs. Ils ont le temps, eux, et ils le font savoir. Une voix grésille dans les haut-parleurs, seule constante inépuisable. J’avoue que je peine à comprendre les informations un peu répétitives qu’elle crachouille, petit à petit. Mais je sais qu’il vaut mieux suivre les voyageurs les plus pressés, ceux en panoplie complète d’hommes d’affaires : costume-cravate, attaché-case, téléphone à l’oreille. Ils savent exactement où ils vont, de leur pas leste et agile, ondulant entre le reste du monde.

Les destinations que je lis ça et là sur les panneaux d’affichage me font tourner la tête. La plupart du temps, je n’ai qu’une très petite idée d’où les rails pourraient me mener. Les noms des villes, plus ou moins lointaines, se succèdent sur le tableau de bord, ne disparaissant que pour réapparaître quelques heures plus tard. Ils me promettent un horizon si proche que je n’aurais qu’à tendre la main (ou plutôt le billet). Les néons des enseignes proposant du café, des sandwichs ou des romans de gare valsent aux côtés de ces imaginaires nouveaux, et je me retrouve à rêvasser, la tête dans des nuages à grande vitesse. On vend ce fantasme de disparaître loin de tout, de prendre une rame vers un ailleurs inconnu et de ne jamais en revenir, toujours sur la route ; et l’on s’y complairait volontiers. On se rêve cheminot ou cowboy, arpentant les grandes routes de fer à la recherche de la prochaine aventure. On devient anonyme, inconnu et méconnaissable, tout ça le temps de quelques instants, une vie à table rase, sans conséquences, libre et insouciante.



One response to “A la gare”

  1. Aaah… la gare!

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