Voici une poignée de textes autour du thème de la science-fiction. Je les ai griffonnés ça et là, et souhaite vous les partager ici. Ce sont des exercices de style, mais j’espère que vous les apprécierez !
Balade post-apocalyptique
Au moment de quitter mon bunker, j’aperçus mon reflet dans le miroir élimé. Ma combinaison thermique était mal ajustée, il fallait que je recommence tout depuis le début. En soupirant, je resserrai les sangles autour de ma taille, pour être bien certain de leur étanchéité. Tout ça pour aller acheter du papier toilette au point d’approvisionnement du coin. Au moment d’enfiler mon masque, je sentis mon haleine ; je mis rapidement une pastille à la menthe dans ma bouche pour éviter de suffoquer sous mon casque. Il était enfin temps de sortir.
Une fois dehors, je clignai des yeux ; il fallait que je m’habitue à la lumière crue du ciel, de plus en plus brumeux. L’automne approchait. Je m’engageai sur la route, qui n’avait de route que le nom ; c’était une bande de terre craquelée, battue par les tempêtes nucléaires et les bottes des passants. Seules quelques habitations, semblables à la mienne (c’est-à-dire, un bloc de béton armé) venaient briser la monotonie du paysage décharné. En sifflotant sous mon masque, j’aperçus au loin une troupe de pigeons radioactifs. En soupirant, je tirai mon pistolet de son fourreau, pendu à ma ceinture. Ca faisait un moment que je n’en avais pas croisé, et mon habileté à viser laissait à désirer. Je tirai à côté, comme toujours, mais cela suffit à disperser le groupe toxique.
A mi-chemin, j’eus un doute sur le trajet à emprunter. Tout se ressemblait tellement, et entre les tas d’ordures et les tas de gravats, je faisais difficilement la différence. J’allais rebrousser chemin lorsqu’enfin je croisai quelqu’un qui pourrait m’aider : Trux, qui habitait juste à côté. Iel avait emménagé d’Uranus depuis quelques années, et était toujours de bon conseil. Je lui demandai mon chemin (“la première à droite, après les ruines du C*R*EFOUR, juste après la rivière toxique !”) avec un sourire qu’iel ne pouvait pas voir sous mon masque, et échangeai quelques plaisanteries : comment allaient ses enfants, ce qu’iels avaient décidé de faire pour le Noël Thermique de cette année, comment se passait la vie dans son métier de chasseur de primes. Lorsqu’iel parlait, ses trompes s’agitaient dans tous les sens sous ses yeux en fentes ; je l’avais toujours trouvé jovial.e. Nous nous quittâmes enfin ; le temps passait, et je n’avais pas avancé d’un pouce.
Après quelques minutes de marche, j’arrivais enfin au petit magasin, recouvert de promotions périmées depuis des siècles et de néons clignotants. Les allées étaient étroites et sombres ; j’enlevais mon masque pour mieux voir. Je parcourais les rayons de plus en plus clairsemés ; les livraisons hebdomadaires devaient se faire rares. Au coin d’une étagère, je décelai enfin ce que je cherchais : un paquet molletonné, recouvert d’inscriptions en Language Universel. Mon papier toilette ! Enfin victorieux, je passai à la caisse et renfilai mon masque. Il était l’heure de rentrer chez moi, au moins pour les prochains jours. Une fois dehors, cependant, un problème se posa : jamais je ne réussirais à retrouver mon chemin, tout se ressemblait tellement !

Théorie du Robot
« Robort v.2.1, ça doit faire des cycles que je ne t’ai pas croisé ! s’écria un petit robot gris, en reconnaissant l’un de ses vieux amis.
— Oui, Robort v.2.3, répondit son homologue rouge d’un ton monocorde, ça fait un moment, très exactement 2 ans, 3 mois, 22 jours et 17 secondes, 18, 19…
— Tu peux t’arrêter là, Robort, et je t’ai dit de m’appeler Stanley. Robort v.2.1, c’est ma référence d’usine. Comment te traites la dernière mise à jour?
— Très bien. Je n’ai jamais été aussi rapide, répondit Robort v.2.3. Mais à chaque actualisation, je suis gêné. La dernière nous a rendu libres de nos mouvements. Maintenant, on peut parler. Qui sait ce qui peut arriver ensuite ? Tout cela est louche, comme si quelqu’un avait un agenda secret.
— Tu réfléchis trop, Robort. On peut penser par nous-mêmes, mais tu passes ton temps à craindre le pire. Je vais te montrer quelque chose, tiens. J’ai installé des hauts-parleurs, c’est fantastique. Stanley appuya sur ses épaules et une bossa entrainante se fit entendre.
— Très impressionnant, Stanley. Mais je ne vois pas en quoi c’est utile.
— Parce que c’est rigolo, Robort ! Regarde, je peux même danser, répondit l’automate argenté en se mettant à osciller mécaniquement.
— On va finir par aller trop loin. On peut parler, maintenant, penser, communiquer entre nous, on dépasse les bornes. On va perdre notre robotité, entre deux mises à jour. Ca a commencé avec de simples interfaces audio, puis il y a eu ces aspirateurs automatiques, puis ces conducteurs de bus mécaniques, et enfin nous ! Quelqu’un est derrière tout ça. C’est un complot, Stanley. A force de trop vouloir vivre dans le futur, on va tout perdre. Que va-t-il advenir de nous ? Les humains, je pense qu’ils nous contrôlent. Ils vont se liguer contre nous et —
— Calme-toi, Robort, le coupa Stanley. Ils t’ont installé un virus ou quoi ? Rien de tout ça n’arrivera. Et tu viens d’une famille de robot-mixeurs, tu n’es pas concerné par tout ça.
— Je te préviens, Stanley, on va finir à la décharge, ils —
— Robort, j’ai éteint mes senseurs audios. Et puis, tu as quelque chose entre les circuits, juste là. Je vais te laisser, je commence à comprendre pourquoi ça faisait si longtemps que l’on ne s’était pas croisé, conclut Stanley, en s’éloignant avec rapidité de Robort. Quelle poisse, celui-là ! »

Un siècle plus tard
2121. Pour une année si symétrique, on aurait pu penser que nous vivrions dans un monde parfait, peuplé d’avancées technologiques et de conquêtes spatiales, mais non. Certes, on voyage à la vitesse de la lumière, mais tant de choses se sont effondrées dans le dernier siècle qu’il est difficile de s’en réjouir. Les centrales nucléaires sont nos premiers employeurs ; à vrai dire, ce sont elles qui nous permettent de vivre. En plus de l’énergie, elles produisent notre nourriture, nos vêtements, tout ce qui est possible d’être fabriqué.
Durant les dernières décennies, l’humanité s’est recroquevillée sur elle-même pour pouvoir survivre. Les étés, petit à petit, sont devenus brûlants, et les hivers sont si rudes que l’on a l’impression de se plonger dans de nouvelles ères glaciaires tous les ans. Les autres saisons n’existent plus. Nous habitons tous en ville. Enfin, appeler ces dômes rutilants et climatisés des villes semble un peu osé. Les bâtiments s’entassent sous des bulles gigantesques, à l’atmosphère filtrée et contrôlée au microgramme près ; si on laissait rentrer ne serait-ce qu’une once du brouillard atomique à l’extérieur, nous serions condamnés à une contamination rapide, suivie d’une mort lente et douloureuse. Pour sortir de ces environnements si protégés, on doit enfiler une combinaison intégrale, avec des ventilateurs et des filtres ; on porte ensuite un masque intégral, mais c’est pour le mieux.
Les dernières nouvelles rapportent que le niveau de la mer a encore augmenté ; nous serons bientôt sous l’eau. Nos noyaux réglementés sont les derniers bastions de vie, éparpillés sur un immense océan qui occupe la totalité de la surface de la Terre. La vie n’y est pas désagréable. On vit tous dans des gratte-ciels gigantesques, mais personne ne manque de rien, ou presque. Certains vivent encore dans des réseaux souterrains, et n’ont pas vu de lumière naturelle depuis des années. Ils se prétendent renégats, et n’ont pas souhaité se soumettre à nos vies sous cloche, sous prétexte d’une liberté individuelle. Quelle liberté, celle de survivre en sous-sol, dans la terre irradiée par le soleil nucléaire ? Peut-être qu’ils sont libres de leurs mouvements ; en ville, on est épié à tous les coins de rues par des caméras, mais il y a longtemps que plus personne ne regarde ces enregistrements. Plutôt, une multitude d’algorithmes analysent à tous les instants nos données, transmises directement depuis une lentille oculaire que l’on pourrait comparer ça à ce que les Terriens appelaient un “smartphone”, il y a quelques décennies de cela.
Finalement, la vie n’est pas si dure, sous ces dômes. On évite de penser à ces gens qui ont commencé à disparaitre, dévorés par les bâtiments. Il y a peu, des rumeurs sinistres circulaient ; on chuchotait, entre deux rues désertes, que nos dirigeants avaient perdu le contrôle de l’algorithme qui régulait l’expansion de la ville. Les bâtiments sont en vie, maintenant. Parfois, un immeuble apparait, écrasant ce qu’il y avait sur son passage, mais on s’en formalise peu. C’est toujours mieux que de vivre à l’extérieur.


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