Un nouveau confinement a été annoncé, mercredi dernier, à la télévision, à la radio, partout. Un mois à passer chez soi, enfermé, à attendre que passent de potentiels symptômes grippaux. Un énième soupir à laisser filer en poireautant jusqu’à l’hiver. Ça n’a frappé que peu de monde ; on n’est plus surpris. Quelque part, on s’y attendait. On a vu les chiffres croître à une vitesse alarmante ces dernières semaines, en blâmant ses voisins, les jeunes, la ville, les bars, la joie de vivre et les statistiques ; nous n’étions pas coupables, personne ne l’était. A défaut d’être fautifs, il s’est trouvé que nous faisons tou.te.s partie du même problème. Une seconde (je l’espère du moins) phase de confinement s’entame donc, teintée d’automne, d’amertume et de fatigue nerveuse.
Je ne voulais pas parler de de virus, de confinement, de toutes ces choses ici. Depuis le début de l’année, on ne parle que de ça, à toutes les sauces, ça m’use plus qu’autre chose. Le COVID s’est répandu comme une trainée de poudre dans le monde entier, et, bien que certains continuent de ne pas le prendre au sérieux (Bedos et ta clique, je vous vois), a été dévastateur. Je n’ai pas les mots pour exprimer la tragédie dans laquelle nous avons été plongé.e.s. Des familles entières, des pays entiers ont été affligés, détruits ; les séquelles de la maladie, après le passage de cette dernière, sont pour la plupart encore visibles des mois après la convalescence. Nous nous sommes plongés dans la catastrophe petit à petit ; dans le fond de nos pensées, l’urgence grandissait inexorablement. Tout semble de nouveau un peu improvisé, fait dans la précipitation et dans la panique, devant une menace qui ne ralentit jamais. Comme si c’était encore la première fois, comme si on avait pas déjà fait tout ça. Une fois de plus, tout est arrivé si vite ; aurait-on été pris de court ? Après mai, on nous a dit que c’était fini, que la deuxième vague serait contrôlée, moins forte, qu’on savait comment s’y prendre, maintenant. “Words, words, words” ; Hamlet ne l’aurait pas mieux dit. Ça a dérapé, on ne pouvait pas réellement le prévoir, la fatigue nous a abîmé.e.s. Tant pis, on se dit qu’on encaisse le coup pour repartir de plus belle.
J’ai bataillé avec moi-même pendant longtemps pour ne pas parler de la pandémie. Elle a phagocyté jusqu’à nos inconscients ; impossible de passer à côté. Un dilemme de plus en plus désagréable s’est présenté à moi ; je ne pensais qu’à ça, mais ne voulais rien en dire. Comment faire, toutefois, pour ne pas en parler ? C’est impossible et primordial en même temps ; pour survivre, il faudrait connaître, tout en se taisant. On est face avant tout à un blocage physique ; on ne peut pas sortir de chez soit comme on le souhaiterait, on ne peut pas faire ce qu’on veut, aller où on veut, et en même temps, on ne peut pas s’empêcher de rêver de mondes autres, plus doux et plus accueillants. Les entraves de cette situation sont aussi mentales ; on veut s’échapper par tous les moyens possibles et surtout imaginables, mais on ne peut se séparer de la contrainte virale, si l’on ne veut pas attraper la crève. Ce nouveau confinement tourmente les confins de notre volonté et de notre patience ; on apprend à connaître trop bien nos limites, ainsi que celles de nos compagnons d’isolement.
La parenthèse forcée d’un confinement national alimente une résolution de s’en sortir, un instinct de survie. Foucault serait hystérique (même si je voulais éviter la métaphore prisonnière). L’air frais, durant les promenades quotidiennes, est plus fort, plus tonifiant qu’à l’habitude ; on se sent revivre, lors de ces temps autorisés par les forces de l’ordre. C’est une heure en suspension, où tout semble presque normal, si ce n’est que les dehors sont vides et regorgent d’une sensation lancinante d’effroi. D’un autre côté, la pluie est d’autant plus épuisante ; elle empiète sur nos moments de paix. Le mauvais temps nous astreint à l’intérieur, et le beau temps nous nargue, faisant presque naître un sentiment d’échec cuisant. Tout devient extrême, et on est coincé dans une boîte de plus en plus petite ; nos mondes et nos compréhensions de ceux-ci sont limités par le premier niveau d’un jeu vidéo.
Je ne peux que souhaiter que ce nouveau temps immobile soit une leçon de compassion. Comme la première fois, on s’est tou.te.s rué.e.s dans les magasins, pour se constituer un tas de provisions, comme des écureuils se préparant à hiberner tout l’hiver. Que de moqueries, de quolibets, pour ceux qui, en panique totale, ont empilé des montagnes de papier toilettes dans le coffre de leurs voitures avec frénésie ! Mais ceux-ci cristallisent une peur instinctive, première, de se retrouver sans défense face à notre nature plus animale qu’humaine, sans confort. Il n’y a rien de ridicule là-dedans, pourtant (serait-ce un symptôme classiste ? oups). On se retrouve tous dans cette appréhension pour quelque chose d’invisible. Nos stigmates colériques deviennent de plus en plus puissants, on ne cherche plus à s’en empêcher ; on cherche à cracher toujours plus sur nos voisins, surtout s’ils ne sont pas comme nous.Et si ce temps passé comme des enfants envoyés au coin pouvait nous donner plus d’empathie envers les moins fortunés, ce serait un miracle ; au lieu de ça, on cherche à fustiger d’autant plus de personnes, avec toujours plus de véhémence, expert comme anonyme.
Je n’ai pas de conseils, et je ne peux en aucun cas donner de réponses à toutes ces questions ; je n’en ai pas les qualifications. Restez chez vous, sortez couverts, respectez les gestes barrières, et répétez ça en boucle jusqu’à en devenir fou. Mais ne restez pas seul.e.s, n’hésitez pas à contacter vos proches lorsque vous vous sentez chancelant.e.s. Tou.te.s dans le même bateau, on flotte au-dessus des nuages, comme les vestiges d’une humanité meurtrie, traumatisée, déchirée. Les événements nous ont fait funambules ; perché.e.s entre deux mondes, on veut se protéger et protéger ceux qui nous sont chers, mais on souhaite aussi aller gambader, sans masques, sans aucune contrainte, après la fatigue essuyée. En attendant, on serre les dents ; on aura bien des occasions de folâtrer dans les herbes hautes ou entre les trottoirs pavés.
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